Cher Santiago Roncagliolo,
Je t'écris depuis mon salon envahi de jouets et de poils de labrador pour te dire TOUT LE BIEN que je pense de toi.
Tu m'avais ébloui avec Pudor *, je savais que je pouvais te faire confiance pour cet autre ovni. C'est étrange on se connait à peine et je suis déjà une sorte de fan, je n'irais pas afficher de
poster de ton visage souriant dans ta grande veste en cuir dans ma chambre, car seul Jason Donovan en a eu jadis le privilège, et je veux qu'il en demeure ainsi.
J'ai passé un nombre incalculable d'heures à ratisser des informations sur ton cas, car oui tu es un cas: dramaturge, écrivain caméléon, journaliste, scénariste et même de télénovelas, conseiller
politique, traducteur, etc... Comme je te le disais je ne mentionnerai pas le terme fan car depuis mes déboires amoureux avec David Halliday et Jason Donovan j'ai décidé de ne me plus faniser. Ce
qui fait donc que je ne suis plus fan depuis un truc comme un millier d'années. Mais totalement épatée par ton talent, oui EPATEE.
Tu dis que tu as toujours voulu écrire "un thriller, c'est à dire un roman policier sanglant avec des assassins en série et des crimes monstrueux", et tu l'as fait. Tu as fait surtout encore
plus. Encore mieux. Tu as trouvé l'inspiration dans l'histoire de ton pays, le Pérou. Ce qui je confirme est un pays qui inspire et aspire. Ton héros, le Fiscal adjoint du
district, Félix Chacaltana Saldivar est un anti-héros comme je les aime, faible et un poil fainéant, globalement médiocre, au service corps et âme de la loi.
Son innocence et son incapacité digne du pire cliché du fonctionnaire de la loi croit encore avant le 8 mars 2000 que tout est soit noir, soit blanc. Mais c'est sans compter sur le premier
corps retrouvé qui va être le début d'une montée vers l'horreur à tous niveaux.
Maintenant, si tu le veux bien, je vais faire un résumé pour mon lecteur de l'ombre, un résumé au service de ta promotion, celà va de soit, promotion presque gratuite.
Mars 2000, Ayacucho, Pérou, Ayacucho, le coin des morts en quechua. C'est la semaine sainte, on est également à deux pas des éléctions. Le premier corps retrouvé est totalement carbonisé, un bras
sectionné au préalable, le front est marqué par une croix au couteau de boucher. Le fiscal du district adjoint Félix Chacaltana Saldivar interroge le médecin légiste sur l'endroit potentiellement
probable de la carbonisation de ce corps, le légiste répond "En Enfer"...
(Petit moment Wikipédia pour toi lecteur de l'ombre: Ayacucho a été la zone la plus touchée par la guerre contre le mouvement du sentier Lumineux, mouvement terroriste qui a bouleversé
sérieusement le Pérou pendant environ 12 ans jusqu'à l'arrestation de son leader Abimael Guzman en 1992. Ayacucho et son département, a également été la zone la plus touchée par
les éxactions militaires et policières au nom de la guerre contre le terrorisme avec l'aval bien évidemment d'un certain Fujimori. Le sentier lumineux a comme je le disais été plus
que largement ébranlé en 1992, fragilisé, le mouvement s'est divisé sans son dealer, néanmoins quelques souches du mouvement perdurent encore aujourd'hui. Parenthèse Wikipédia terminée).
C'est ici à Ayacucho que le fiscal du district adjoint, Félix Chacaltana Saldivar, va se confronter à la folie meurtrière d'un ou de plusieurs assasins qu'il imputera en premier
lieu à un regain d'activité du sentier lumineux. On lui dit de se taire. Entre intérêts politiques, personnels, corruption galopante, le silence se veut de mise, et le mutisme de la
population, la résignation doublée de la peur tant du terrorisme, mais surtout de l'armée, et de la police ne l'aide pas à faire éclater la vérité. Personne ne veut voir ce qu'il voit. C'est
seul contre tous qu'il va affronter l'horreur qui monte en crescendo sous fond de ferveur paienne et religieuse.
Plus qu'un thriller avec des crimes d'une imagination et créativité digne de Jigsaw, ce roman est un livre au service de la mémoire d'un pays qui n'a pas cicatrisé ses plaies, l'histoire d'un
pays, d'une guerre qui a fait 70.000 morts. Ce roman est un prétexte, un témoignage poil à gratter d'une vérité qui n'a pas encore éclatée et qui rampe encore dans les couloirs du silence,
de la résignation, de la peur, et surtout bien au chaud dans le ventre d'un monstre qu'on appelle corruption.
Voilà Santiago. Un mot. EPATEE. Je suis épatée de ton talent, de ton humour aussi qui ne plie pas sous l'horreur du récit. Tu es un exemple rare d'écrivain à multiples facettes, un écrivain
courageux, inclassable, formidable. Tu mérites largement les 148.000 euros, environ, que tu as gagné grâce à ce roman en 2006 avec le prix Alfaguara, 148.000 euros qui me laissent rêveuse quand à
mon âge, une vieille maintenant (preuve en est Mika me gonfle et je n'aime plus le rose fluo) on rêve de maison avec un bout de jardin où faire pousser un palmier qui ne poussera jamais
faute de soleil.
En France tu n'as que deux livres de traduits* sur les 11 publiés, je vais donc pousser à la consommation de tes livres car tu le mérites. Celà ne te coûtera qu'un ceviche et un picante a lo
macho arrosés de bière glacée. Pour moi et mon mari. Certes on mange pas avec le dos de la fourchette comme on dit, mais celà reste très économique. Non ?
Hasta muy pronto.
* "Histoires indiscrètes d'une famille sans histoire" et "Avril Rouge" bien sûr.